Témoignage
Vous lirez ci-après, le témoignage toujours d'actualité, d'un homme qui œuvrait pour la paix. Son analyse lucide, sans complaisance -mais fondamentalement optimiste- du destin du continent africain, peut, à n'en pas douter, aider les partenaires occidentaux dans leurs réflexions pour la poursuite d'une aide au développement qui tienne compte de la société laïque africaine et  non pas uniquement  de l'intérêt de gouvernements locaux trop souvent corrompus et peu scrupuleux du bien du peuple. Pierre Sarramagnan-Souchier.

 
Aaron Tolen  
Briser les chaînes de l'injustice:
 

Une perspective africaine
 
 

par le Docteur Aaron Tolen

 


Le Docteur  Aaron Tolen, spécialiste en sciences politiques et défenseur convaincu de la cause africaine, fut l’un des nombreux dirigeants laïques à promouvoir la justice et le développement viable, en particulier en Afrique. 
 
 

Le Docteur Aaron Tolen, décédé le 07 avril 1999 à Yaoundé au Cameroun, à l'âge de 61 ans, fut l'un des Présidents du Conseil Œcuménique des
Eglises (COE) de 1991 à 1998.

Aaron Tolen était membre de l'Eglise évangelique du Cameroun.

Politologue et africaniste, il était responsable du Département pour le
développement de la Fédération des Eglises et missions évangéliques du
Cameroun (FEMEC).

Durant toute sa vie, il a entretenu des relations étroites avec le
mouvement œcuménique. De 1966 à 1969, il a été le représentant
permanent de la Fédération universelle des associations chrétiennes
d'étudiants (FUACE) auprès de l'UNESCO; puis, par la suite, jusqu'en
1974, il a été le secrétaire régional de la FUACE pour l'Afrique et
Madagascar. 

Entre 1969 et 1975, il a été membre de la Commission de la participation
des Eglises au développement (CPED) du COE et a siègé au Comité
exécutif de la Commission des Eglises pour les affaires internationales
(CEAI) du Conseil œcuménique. 

En 1983, Aaron Tolen est devenu
membre du Comité exécutif du COE; et de 1991 à 1998, il a été Président
du Comité des questions d'actualité.

**********

Note :
Le Conseil Œcuménique des Eglises (COE) est une communauté de 338 Eglises. Elles sont réparties dans plus de 100 pays sur tous les continents et représentent pratiquement toutes les traditions chrétiennes. 
L'Eglise catholique romaine n'est pas membre mais elle collabore activement avec le COE. La plus haute instance dirigeante du COE est l'Assemblée, qui se réunit environ tous les 7 ans. Le COE a été formé officiellement en 1948 à Amsterdam, aux Pays-Bas. 
 

Conseil Œcuménique des Eglises
Bureau des relations avec les médias
Tel:  (41.22) 791.61.53 / 791.64.21
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Courriel : ka@wcc-coe.org
Site :
http://www.wcc-coe.org

Case postale 2100
CH-1211 Geneve 2

  Texte intégral du discours prononcé  à la 23ème Assemblée générale de l'assemblée de l'Alliance Réformée Mondiale (ARM) qui s'est déroulée à Debrecen, en Hongrie, en août 1997.
 
 
 

Le Docteur Aaron Tolen  demande que l'Afrique dénonce l'injustice, mais également qu'elle reconnaisse sa propre complicité. 
Pour briser les chaînes de l'injustice en Afrique, l'Église doit jouer le rôle d'un gardien et protéger les intérêts des personnes faibles, vulnérables et pauvres.
 
 
 

L'Afrique et l'injustice
La Résistance et l'espoir
L'Analyse africaine
Nouvelles orientations

C'est pour moi un privilège et un grand plaisir de partager avec vous quelques réflexions sur le thème de notre 23ème Assemblée générale, du point de vue de l'Afrique: «Briser les chaînes de l'injustice».

S'il y a un continent qui comprend naturellement ce que veut dire cette injonction prophétique, c'est le mien, l'Afrique. Beaucoup d'experts et d'observateurs l'ont depuis si longtemps classé parmi les cas désespérés qu'ils ont même conclu à son exclusion du reste du monde. Ils l'ont dépeint comme un continent sans avenir, sans espoir, condamné.

Je ne m'attarderai pas à vous faire une présentation théologique ou biblique de notre thème. D'autres, plus compétents, l'ont fait ou vont le faire. De plus, la préparation de l'Assemblée générale a été l'occasion d'excellentes contributions qui sont à votre disposition pour aider à la compréhension de ce thème.1 Les études bibliques ont été préparées en tenant compte des contextes, des cultures, des expériences concrètes.2

Étant donné la place que certains ont voulu donner à l'Afrique, mais considérant surtout la volonté des Africaines et des Africains de définir par eux-mêmes et pour eux la place qui est la leur dans le monde à venir, qu'il me soit permis de rappeler:

  1. que l'Afrique est un continent qui a souffert de beaucoup d'injustices,
  2. mais que c'est un continent dont la résistance et l'espérance ont été les fondements de la survie de ses populations,
  3. que l'Afrique a besoin de temps et d'espace pour s'examiner, pour admettre ses propres complicités, pour appeler à plein gosier chaque injustice et pour l'exorciser,
  4. pour s'engager sur une autre voie,
  5. pour redéfinir pour elle-même la place qui sera la sienne.

L'Afrique et l'injustice

L'histoire de l'Afrique est une tragédie humaine faite de calamités naturelles (sécheresses, inondations) ou provoquées par les hommes (guerres, invasions, esclavage, colonisation) et qui ont provoqué la famine, l'effondrement des communautés, les réfugiés, la mort. Le Sud-Soudan avec sa guerre, la plus longue de l'Afrique, la guerre oubliée, la Région des Grands Lacs, la Sierra Leone, le Liberia, le Congo-Brazzaville, la République démocratique du Congo, la République centrafricaine. La misère populaire résultant de la mauvaise gestion et de la mauvaise utilisation des ressources qui ont abouti à la dette insupportable. Les souffrances dévastatrices provoquées par tous ces conflits, qu'ils soient ouverts ou larvés. Nous avons eu notre holocauste, peut-être le premier, dont le bilan ne saurait être comparé avec l'esclavage. L'apartheid, c'était chez nous. Les régimes dictatoriaux et sanguinaires, nous en avons beaucoup hébergé. L'Afrique a été et reste pour le monde une réserve de matières premières, et rien que cela. Regardez la liste des pays les plus pauvres du monde, et constatez dans quel continent est située la majorité d'entre eux. Et pourtant, on vous dit par ailleurs que la Sierra Leone regorge de ressources, que la RCA a plein de diamants, que la République démocratique du Congo, ou la Guinée, sont des «accidents» géologiques tellement leur sous-sol est riche de divers minéraux. La fraude, la corruption, qui ne sont pas réservées à l'Afrique, nous affectent cependant plus qu'ailleurs dès l'instant que nos moyens sont plus limités et moins organisés. Elles nourrissent et aggravent la pauvreté des populations qui est elle-même la conséquence de la cupidité et de la corruption des dirigeants. Même le salut annoncé en Jésus-Christ est devenu objet d'aliénation et d'exclusion pour les Africains et les Africaines. Est-il vraiment nécessaire de s'aliéner dans la culture des autres pour être sauvé en Christ? Faut-il vraiment abandonner la vision du monde, la manière de vivre, d'être humain de l'Africain et les remplacer par celles des étrangers qu'ils soient européens, américains, ou d'ailleurs, pour être sauvé en Christ? La prostitution culturelle par le moyen des invasions religieuses et idéologiques constituent l'une des injustices les plus nocives qui aient été infligées à l'Afrique. Certains polémistes ont parlé des missionnaires comme des «sous-marins» de la domination étrangère. Peut-on écarter cela entièrement? Nos mécanismes de relations en mission sont-ils fondamentalement différents de ceux utilisés ailleurs? Tout cela est tellement connu et ressassé qu'il devient presque indécent d'en parler aussi longtemps. Il faut pourtant le mentionner pour qu'on ne l'oublie pas. Mais il faut vite passer pour s'occuper de ce qui compte, à savoir l'histoire de notre résistance pour survivre, et de notre espoir d'une vie abondante.

La Résistance et l'espoir

Aujourd'hui, encore plus qu'hier, beaucoup d'Africaines et d'Africains se tournent vers la réalisation d'un futur différent et meilleur pour l'Afrique. Ils analysent pour s'en inspirer les histoires de courage et de résistance face à l'esclavage, à l'occupation coloniale, à la prostitution culturelle et à l'oppression d'où qu'elle vienne, de nos populations. C'est avec fierté qu'ils admirent l'histoire faite de dignité, de courage et de sacrifices des fondateurs des États indépendants d'Afrique; ces architectes du Panafricanisme, ces combattants de la liberté qui ont préféré perdre leur vie au lieu de voir l'Afrique et son peuple mourir dans l'humiliation. C'est cela l'Afrique. Des vies de peine, de dignité, et d'espérance.

Comme le dit si tristement Bob Goudzwaard dans sa contribution intitulée «Mondialisation, Exclusion, Asservissement»3: «Le combat que nous devons mener est par conséquent et finalement un combat spirituel; contre les éléments de l'idolâtrie et de courte vue en nous-mêmes et dans les cœurs et les esprits des autres; les autres que nous devrions aussi considérer comme des acteurs».

Que ce soit dans les cales des bateaux allant vers l'Amérique ou les Antilles, que ce soit dans les champs de coton ou sous les coups de fouet, devant la mort comme dans la misère, notre recours a toujours été l'espérance manifestée par le chant et la danse. Nous n'avons jamais permis à l'autre de briser notre foi en une vie abondante et meilleure. Nous avons souvent brisé la superbe et l'arrogance des tortionnaires et gardes-chiourmes. Car enfin, il faut bien briser l'idole qu'on a faite d'une Afrique catastrophe, faite de désolations, de pauvreté, d'épidémies. Il faut affirmer que malgré tout cela, nous, Africaines et Africains, nous assumons. Nous affrontons, nous avons toujours affronté les mauvais sorts dans l'espérance qui est en nous, que nous vaincrons. Que nous briserons un jour les chaînes de l'injustice, les chaînes de la conspiration du mensonge et de la dénaturation des faits. «L'Afrique n'est pas seulement un continent de guerres civiles et de crises humanitaires comme la dépeignent les médias; mais un continent à la porte d'une nouvelle ère de démocratie et de prospérité. L'Afrique est riche en ressources et en potentialités; une majorité de ses 48 pays a adopté au cours des sept dernières années des réformes politiques et économiques orientées vers le marché.

  • Plus de 30 nations africaines sub-sahariennes ont enregistré des taux de croissance positifs en 1996.
  • Certains, en Afrique, atteignent des taux de croissance comparables à ceux de l'Asie orientale, atteignant 12% par an.
  • Le commerce africain a doublé entre 1990 et 1995, et on s'attend à ce qu'il continue de croître à raison de plus de 6% par an jusqu'en 2001.
  • Les exportations des États-Unis vers l'Afrique ont augmenté l'an dernier de 20% et étaient plus de 25% supérieures aux exportations américaines vers toute l'ancienne Union soviétique.
  • Les flux d'investissements étrangers directs vers les pays africains sub-sahariens a atteint quatre milliards et demi de dollars en 1996, soit le triple du niveau moyen annuel pour la période 1990-1993.»4
Ceci n'est pas un publi-reportage pour l'Afrique et pour combatte l'afro-pessimisme ambiant. Ce n'est pas le point de vue d'une personne non informée ou tout simplement enthousiaste. C'est le Président des États-Unis qui parlait ainsi le 17 juin 1997. Il y a longtemps que nous avons dit qu'il faudrait parler autrement de l'Afrique.5 C'est cette Afrique-là qui veut briser les chaînes de l'injustice, avec l'aide de Dieu.

L'Analyse africaine

Pour ce faire, l'Afrique a besoin de temps et d'espace pour s'examiner, reconnaître ses complicités, appeler à plein gosier chaque injustice par son nom pour l'exorciser. Nous passons tout notre temps à suivre les mots d'ordre donnés par d'autres pour leurs propres projets. Aujourd'hui, la population, demain l'environnement, après-demain les femmes, et puis les enfants, ainsi de suite. Les experts des Nations-Unies et des institutions de Bretton Woods les appellent eux-mêmes les «parfums saisonniers». Comment peut-on organiser un développement durable et auto-entretenu dans ces conditions? Nous savons que la plupart des chaînes, qui entravent l'Afrique et qui empêchent son épanouissement, sont de même nature que celles qui lient le reste des sociétés. Nous ne voulons plus, nous ne devons plus continuer d'expliquer tout ce qui nous arrive de mal en pointant le doigt vers d'autres. Nous sommes co-responsables des malheurs qui ont frappé l'Afrique. C'est avec la complicité de nombre d'entre nous que les ressources africaines ne sont pas utilisées principalement pour résoudre les problèmes africains. C'est avec leur complicité que nous croupissons aujourd'hui sous la dette. Ce sont eux qui veulent des pouvoirs dictatoriaux pour protéger leurs privilèges mal acquis. Ce sont eux qui préfèrent l'illusion de la sécurité des armes à celle que donnent la confiance et le soutien des masses populaires.

Nos chaînes, ce sont aussi nos traditions et coutumes. Certaines demeurent oppressives et méprisantes pour les femmes. Elles accentuent la victimisation des femmes due à l'explosion de l'urbanisation de nos sociétés. Elles maintiennent les femmes dans l'insécurité même dans leurs maisons à cause de la violence domestique considérée comme normale. Les femmes ont droit à la reconnaissance de leur dignité, de leurs valeurs intrinsèques, à l'égalité devant l'emploi, comme devant n'importe quelle activité humaine. Il nous faut briser le silence autour de l'oppression que subissent les femmes, conscientiser celles qui, souvent, trop souvent même, se montrent coopératives avec les oppresseurs. La libération et l'affirmation des femmes font partie intégrante du message libérateur de l'évangile de Jésus-Christ, notre libérateur à tous. Pourtant, et il faut avoir le courage de le reconnaître, malgré la Décennie œcuménique de la solidarité des Églises avec les femmes, qui prendra fin l'an prochain, ce n'est que de façon marginale que les Églises ont esquissé quelques pas positifs.

Les Églises doivent trouver des moyens d'éviter de se faire coopter par les gouvernements, comme de s'isoler complètement de la gestion des affaires du pays. C'est une illusion de croire que les Églises vont garder les mains propres alors qu'elles sont et vivent au sein de peuples qui se battent contre les injustices. Les théologiens tendant à éloigner les chrétiens des combats existentiels ici et maintenant, dans l'espoir d'une vie meilleure dans l'au-delà, ne sont qu'une chaîne de plus à briser. Les Églises d'Afrique doivent examiner leur rôle dans la promotion de responsables qui apportent aux gens des services adéquats, une bonne gestion, une utilisation prudente des ressources naturelles et humaines, l'intégrité, l'humanité et la justice. C'est en devenant le sel de la société, intimement liée à elle, mais gardant sa nature et son rôle, que l'Église contribuera à briser la chaîne des intérêts particuliers des individus ou des groupes. Pour briser les chaînes de l'injustice en Afrique, l'Église doit assumer le rôle de gardien des intérêts des faibles, des personnes fragiles et des pauvres dans la société. Elle doit être ferme et élever sa voix contre l'exercice d'un pouvoir par l'État et les riches qui oublient que leur premier devoir est de servir les intérêts des gens. Chez nous, les gens vivent en plein dans la violence, le militarisme, l'impunité, le manque de transparence et la violation des droits de la personne. Dans certains cas, face à cette situation, l'Église a joué un rôle prophétique. Dans d'autres cas, plus nombreux hélas!, elle est restée silencieuse, divisée ou sérieusement compromise en soutenant l'oppression sous prétexte de solidarité ethnique, confessionnelle ou économique, comme ce fut le cas pour le soutien apporté à la politique d'apartheid. Mais pour être crédible, l'Église doit être elle-même un exemple de transparence, de responsabilité et d'intégrité. Combien parmi nos Églises peuvent prétendre correspondre à cette définition?

Au lieu de rester dans des relations douteuses, l'Église, nos Églises doivent être les premières à demander la rupture des chaînes avec l'État. Elles doivent réclamer que l'État soit laïc. Ainsi, l'Église chrétienne, comme toutes les autres forces religieuses, libéreront leurs énergies pour les mettre au service de l'éducation civique, et de la réconciliation sans être suspectées de partialité.

Les chaînes de l'injustice sur le plan économique, ce sont les contradictions et l'idolâtrie des modèles économiques et la corruption. Les contradictions: l'Afrique est un continent riche et ses populations sont parmi les plus pauvres du monde. L'Afrique est un continent riche mais elle ploie sous une dette étouffante. L'Afrique a des potentialités pour se nourrir et nourrir beaucoup d'autres, mais elle subit des famines récurrentes.

Briser les chaînes de l'injustice, c'est avoir le courage de poser à la fin de cette énumération non exhaustive la question: «Pourquoi?» Dans la recherche des réponses, on va se heurter naturellement aux causes. L'idolâtrie des modèles économiques: on voudrait nous faire croire, surtout après l'implosion du communisme européen, que le modèle capitaliste du marché est inévitable et le seul capable d'apporter le bien-être. Mais à qui? Nous, en Afrique, nous avons connu les deux. Dans leur pratique, nous avons découvert qu'ils avaient la même tendance à servir d'abord une minorité, à moins qu'on mette en place des mécanismes qui protègent les gens faibles et fragiles. Or, ce sont exactement ces mécanismes que l'on considère aujourd'hui comme un gaspillage. Comment va-t-on s'assurer que des populations de plus en plus nombreuses ne vont pas être exclues? Nous, en Afrique, on nous aurait déjà oubliés si notre sol n'avait pas des richesses dont le marché a encore besoin. Le même marché a sans doute encore besoin de maintenir le poids insoutenable de la dette pour continuer d'enrichir d'autres avec les ressources naturelles de l'Afrique.

Si l'on passe des potentialités africaines, dont tout le monde parle, à la réalité, on tombe sur la question de la gestion et de ses contraintes. Ce sont ces contraintes que beaucoup de nos concitoyens veulent éviter au moyen de la corruption. Ce n'est pas une denrée spécifiquement africaine. On la trouve partout comme l'attestent de multiples procès qui ont lieu dans les pays industrialisés. La corruption nourrit la pauvreté qui en est elle-même le produit. Est-il possible, sommes-nous prêts à déclarer que la corruption dans un poste public est un péché et, par conséquent, un acte immoral? Est-ce possible quand on sait que certaines de nos Églises s'y complaisent?


Nouvelles orientations

En ce qui nous concerne, en Afrique, le monde tel qu'il est organisé, gouverné, géré, n'est pas pour nous. Si le communisme a échoué en Europe de l'est et en Europe centrale, en Afrique, c'est le communisme et le capitalisme qui ont échoué. La Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Nigéria, le Cameroun, le Gabon, le Zaïre, le Kenya, présentés comme des «vitrines» du succès libéral et capitaliste sont aujourd'hui à genoux. L'Algérie, la Guinée, le Congo, l'Éthiopie, l'Angola, la Tanzanie qui ont prôné l'approche socialiste sont tout autant à genoux. L'Afrique est le seul continent qui montre clairement que, pour résoudre les problèmes des masses populaires, ni l'idéologie occidentale, ni l'idéologie communiste ne sont bonnes. Pour nous, elles ont toutes à faire leurs preuves.

Au total, l'Afrique a des problèmes et des difficultés dont certaines causes sont internes et d'autres externes. Ces problèmes ne sont pas insurmontables. Il n'y a pas de continent ou de peuple condamné. L'Afrique a surmonté la traite des esclaves, de multiples épidémies, le colonialisme, les partis uniques, l'apartheid. Elle est capable de surmonter la crise actuelle, elle va la surmonter.

Que faut-il faire? Tout ce qui est possible, pour transformer les potentialités existantes en réalités économiques. Pour être respectés, et peut-être pour devenir partenaires du «monde», il nous faut prendre conscience de nos droits, de nos devoirs, et être prêts à les défendre quand ils sont attaqués de l'intérieur comme de l'extérieur. Il faut aider nos populations à s'organiser pour imposer une meilleure forme de gouvernement, décider des politiques à mettre en œuvre, et en contrôler l'application. Il faut éviter l'exclusion des populations des centres de décision. Il faut ensuite définir des politiques partant des besoins de nos populations pour essayer de les satisfaire. Il faut exploiter nos richesses dans l'intérêt principal de nos peuples, et non satisfaire une économie de marché dont la prétendue «main invisible» draine, sans se tromper, tout ce que nous avons vers d'autres lieux pour le bien-être des autres.

Est-il naïf de croire que la communauté chrétienne peut, dans une alliance fondée sur l'évangile, et pour briser les chaînes de l'injustice, s'engager à éviter que des interventions intempestives de toute nature viennent perturber cette volonté de se prendre en charge?

Le monde capitaliste a reconnu qu'un certain argent peut être si sale qu'il n'est pas neutre de le laisser circuler sans explication (drogue, criminalité, mafia). Et l'argent pris aux populations et aux pays pauvres, écrasés par la misère, pourquoi est-il toujours considéré comme propre et respectable? Est-ce parce qu'il aide à la trésorerie des pays développés ?

Pour nous, en Afrique, accepter l'inéluctabilité des modèles économiques prédominants, c'est accepter notre exclusion des places où se décide l'avenir du monde. C'est, au mieux, commettre un suicide social. Nous croyons que nous avons été créés pour vivre heureux malgré les difficultés et l'adversité. Nous croyons que c'est là la volonté du Créateur qui dépasse toutes les logiques des systèmes conduits par des «mains invisibles». Nous avons quelques signes qui nous réconfortent dans cette conviction. La chute de l'apartheid, la chute de Mobutu au Zaïre (la République démocratique du Congo), le doute qui se saisit des peuples du Nord quant à la sagesse ultime des choix qu'ils sont en train de faire.

Quel pourrait être le rôle de l'Église? Bastiaan Wielenga tente une réponse: «Ce dont nous avons besoin, c'est d'une réorientation des désirs et des espoirs, un nouveau cadre de référence pour les besoins humains, créé au moyen d'une vision neuve, faite d'espérance et de pratiques sociales renouvelées».6

Consacrer sa vie à briser les chaînes de l'injustice, c'est donner un sens à sa vie. C'est ce qui soutient des milliers de jeunes en Afrique dans leur recherche d'une vie pleine et abondante. Pouvons-nous en faire l'unité de mesure à laquelle on juge de la validité de ce qu'on fait, de ce qu'on devrait faire?

Notes

1.«Reformed Faith and Economic Justice», in Reformed World, Vol.46, No3, septembre 1996. 

2. Documents d'étude, pp.50 à 62.

3.«Globalization, Exclusion, Enslavement,» Reformed World, Vol.46, p.107.

4. «Fact Sheet: Clinton Strategy for Economic Growth in Africa», 17 juin 1997.

5 .«Parlons autrement de l'Afrique». Conseil œcuménique des Églises, Comité central, septembre 1991.

6. Bastiaan Wielenga, Reformed World, Vol. 46, septembre 1996, p.115.
 



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